A livres ouverts au Kunstenfestivaldesarts
Review by Gilles Renault
Published in La Liberation in 2013
Le Kunstenfestivaldesarts n’est jamais à court d’idées, raison pour laquelle les programmateurs viennent de partout y butiner. Née au début des années 90, la manifestation belge, qui veille à associer les communautés wallonne et flamande, mêle théâtre, danse, performances et installations, dans divers lieux aléatoires de Bruxelles. Parmi les propositions de la cuvée 2013, celle de la Norvégienne établie à Bruxelles Mette Edvardsen, Time Has Fallen Asleep in the Afternoon Sunshine, où la mémoire sauve les livres du feu, et qui fait référence à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.
A la Bibliothèque royale, moyennant inscription et la somme de 12 euros, on rencontre ainsi des «livres» vivants, comme Sarah Ludi, une Suissesse qui a appris par cœur les Rêveries du promeneur solitaire (du moins la première et le début de la deuxième sur dix) de Jean-Jacques Rousseau, qu’elle va restituer pour un seul spectateur. On la suit au choix à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment, pour une demi-heure de flânerie vertueusement suggestive.
Debout, la jeune femme envisage son public singulier, qui lui-même peut la dévisager ou scruter les alentours. Scène, costume, fard, lumière : aucun des adjuvants usuels dans cette expérience troublante. Passé le temps d’adaptation que requiert la proximité physique, on se laisse prendre au rythme introspectif de la langue ciselée, à peine désuète.
Créé fin 2010 à Louvain, Time... existe au Kunsten sous la forme de quinze textes, en anglais, néerlandais et français (outre Rousseau, Robert Pinget, Michel Houellebecq et Amélie Nothomb sont au programme). Performeuse parmi d’autres, Sarah Ludi s’est engagée pour six ou sept «représentations» sur autant de jours, soit 40 passages au total. A l’origine danseuse, elle s’avoue moins déroutée que prévu par l’expérience orale : «Je ne pensais pas y prendre tant de plaisir. J’y trouve quelque chose d’à la fois addictif et délassant, un peu comme une forme de "transe", où j’aime m’abandonner.» Une sensation que l’auditeur a tout loisir de partager.